L’apartheid israélien, en toute impunité
Dans son dernier rapport en tant que Rapporteur spécial, Michael Lynk reconnait l’existence d’un régime apartheid imposé par Israël au peuple palestinien. Son constat se joint à ceux des organisations de défense des droits humains palestiniennes Al-Haq, Addameer, israélienne B’Tselem et internationales Human Rights Watch et Amnesty International. Malheureusement, cette mise en lumière n’a fait cesser ni la réalité d’oppression et de discrimination permanente vécue par les Palestiniens ni la colonisation incessante de leurs terres. Le parlement israélien continue en effet à adopter des lois discriminatoires, sans se soucier le moins du monde du fait qu’elles violent les droits humains de manière ostentatoire. C’est le cas de la nouvelle « loi sur la citoyenneté ».
Nouvelle loi israélienne « sur la citoyenneté »
Le 10 mars 2022, la Knesset a adopté la « loi sur la citoyenneté », une loi qui interdit aux Arabes israéliens de procéder à des regroupements familiaux et donc à leurs conjoints d’obtenir un droit de séjour permanent en Israël. La mesure était déjà en vigueur depuis 2003 sous forme d’ordonnance de sécurité temporaire, annuellement renouvelée depuis. En juillet 2021, le renouvellement n’a pas été voté vu l’opposition des partis Meretz (gauche) et Raam (islamiste), membre de la nouvelle coalition au pouvoir. Pour faire passer la loi, la ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked, a donc dû convaincre le Likoud et le Parti sioniste religieux de voter avec une partie de la coalition gouvernementale. Ce qu’elle a aisément réussi à faire.
Passée pendant la deuxième intifada, cette loi était soi-disant destinée à réduire le nombre d’attentats-suicides, en réduisant le nombre de Palestiniens autorisés à séjourner en Israël. Mais c’est surtout une autre raison qui motive les partis de la droite israélienne a se rallier à la demande de la ministre de l’Intérieur, comme l’expliquait celui des Affaires étrangères Yair Lapid peu avant le vote de juillet 2021 : « « Il est inutile d’esquiver ce qui est l’essence même de cette loi. Elle est l’un des outils dont nous disposons pour garantir qu’Israël, qui est l’État-nation du peuple juif, restera un pays à majorité juive. Notre objectif est qu’il y ait une majorité juive ». Depuis juillet 2021, la Ministre Shaked avait ordonné que la loi reste appliquée, bien qu’elle n’ait pas été renouvelée.
Pour les 13 200 Palestiniens mariés à un conjoint israélien, le vote de la loi représente le couperet final après de faux espoirs nés en juillet 2021. L’absence de possibilité de regroupement familial signifie pour eux une situation très précaire liée à des « permis de séjour » devant sans cesse être renouvelés, l’interdiction de posséder un compte bancaire ou encore très peu de documents les liant à leurs enfants. Pour eux et leurs enfants, le futur est donc synonyme d’incertitude.
Un arsenal législatif d’apartheid
La loi une fois passée, la ministre de l’Intérieur tweetait triomphalement : « Un Etat juif et démocratique 1 – Un Etat de tous ses citoyens 0 ». La Ministre revendique donc haut et fort une politique d’apartheid qui favorise systématiquement la population juive vis-à-vis des Palestiniens.
Cette loi vient renforcer un arsenal législatif qui institue une discrimination systématique des Palestiniens d’Israël qui représentent pourtant 20 % de la population israélienne. En 2018, la « Loi fondamentale : Israël en tant qu’État-nation du peuple juif » consacrait ainsi le statut privilégié des citoyens juifs en Israël, au détriment des citoyens palestiniens d’Israël. Cette loi fondamentale, qui a valeur de Constitution en Israël, affirme que l’identité ethno-religieuse d’Israël est exclusivement juive. Elle stipule ainsi que la seule langue officielle est l’hébreu, reléguant l’arabe au rang de « statut spécial ». En décembre 2019, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a exprimé ses préoccupations concernant « l’effet discriminatoire (de cette Loi fondamentale) sur les non-juifs » en Israël. Cette loi fondamentale représente un autre élément évident du régime d’apartheid imposé par Israël aux Palestiniens.
Un constat clair du Rapporteur Spécial Lynk
Lors de la 49e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le Rapporteur spécial des Nations Unies Michael Lynk a présenté son dernier rapport avant la fin de son mandat, dans lequel il analyse la commission du crime d’apartheid par Israël. N’ayant mandat que pour traiter de la situation dans le territoire palestinien occupé, il s’en tient à une analyse sur l’existence du crime d’apartheid en Cisjordanie et à Gaza, reconnaissant néanmoins dans la lignée des rapports existants, qu’il est difficile d’imaginer la démocratie d’un côté de la ligne verte quand l’apartheid est appliqué de l’autre.
Son analyse s’articule autour des trois éléments constitutifs du crime d’apartheid, c’est-à-dire un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques, établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre, l’intention de le maintenir et qui comprend l’existence d’actes inhumains commis comme partie intégrante de ce régime. Sa conclusion est claire : « le système politique de règles bien établies dans le territoire palestinien occupé, qui confère à un groupe racial-national-ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels tout en soumettant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs, des points de contrôle et sous un régime militaire permanent « sans droits, sans égalité, sans dignité et sans liberté » (sic), satisfait à la norme de preuves qui prévaut pour déterminer l’existence de l’apartheid ».
Ne pas oublier le caractère colonial de l’occupation
La reconnaissance grandissante de leur réalité d’apartheid réjouit les Palestiniens, mais leur laisse néanmoins un goût amer dans la bouche. En effet, les récents rapports israéliens et internationaux tendent à souvent ignorer les analyses faites depuis des années par les organisations palestiniennes elles-mêmes. Or comme le réaffirmait Shawan Jabarin, le directeur de l’organisation palestinienne de défense des droits humains Al Haq pendant l’événement organisé le 22 mars 2022 à Genève (et online) à l’occasion de la publication du rapport de Michael Lynk : « Le colonialisme de peuplement est l’une des causes fondamentales de l’apartheid ». Cette phrase résume bien la lecture de l’apartheid défendue par les Palestiniens. Les récents rapports décrivent le régime d’apartheid israélien comme étant essentiellement une question de discrimination, d’oppression et d’égalité de droits. Or, pour les Palestiniens, il est davantage une résultante d’une idéologie d’Etat fondamentalement coloniale.
La loi israélienne sur l’Etat nation juif, mentionnée plus haut, le stipule bien : « l’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif » et « l’État considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale ». La négation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien est au cœur de l’apartheid israélien. L’apartheid imposé au peuple palestinien est une conséquence logique de la colonisation et de l’annexion de la terre palestinienne, et non l’inverse.
Que peuvent faire la Belgique et l’UE ?
Les Etats doivent veiller à protéger le travail des instances internationales susceptibles de se pencher sur l’existence du crime d’apartheid en Israël. D’une part celui de la Cour pénale Internationale qui a ouvert une enquête sur la situation en Palestine en mars 2021. Mais aussi celui de la Commission d’enquête indépendante mise en place en mai 2021 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et dont le mandat, sans limite dans le temps, s’étend à la fois au territoire palestinien occupé et au territoire d’Israël-même. Cette Commission d’enquête est chargée d’examiner « les causes profondes sous-jacentes des tensions récurrentes, de l’instabilité et de la prolongation des conflits, y compris la discrimination et la répression systématiques fondées sur l’identité nationale, ethnique, raciale ou religieuse ». En outre, le Comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid, qui a joué un rôle très important dans la chute du régime sud-africain d’apartheid, devrait être rétabli.
Par ailleurs, s’attaquer aux causes profondes de l’apartheid c’est aussi s’attaquer à la colonisation. Or si l’Union européenne a développé une politique de différenciation qui vise à distinguer dans ses relations avec Israël entre le territoire d’Israël et les colonies, elle continue encore à entretenir des relations commerciales avec ces mêmes colonies. L’Union européenne et la Belgique devraient donc sans tarder interdire toutes les relations commerciales avec les colonies israéliennes, comme le demande l’Initiative citoyenne européenne lancée le 21 février.
Comme souligné par Nada Awad du Cairo Institute for Human Rights Studies lors de la conclusion de l’événement du 22 mars, les constats se multiplient ces derniers temps à la fois sur l’existence d’un régime d’apartheid et sur la nécessité de s’attaquer aux causes profondes de la situation actuelle en Israël et Palestine. Il est donc aujourd’hui temps qu’Israël rende des comptes.