Palestine : réaffirmer la primauté du droit international

Jérusalem. (Crédit : © Ilan Ejzykowicz, Shutterstock
Crédit : © Ilan Ejzykowicz, Shutterstock

Dix-huit ans après un premier avis rendu sur la construction du mur de séparation en Palestine occupée, la Cour internationale de Justice (CIJ) est sur le point d’être à nouveau sollicitée pour se prononcer sur les conséquences légales de l’occupation prolongée de la Palestine par Israël. Alors qu’en septembre une majorité d’Etats votait en faveur d’une résolution condamnant l’annexion de territoires ukrainiens par la Russie, l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force semble être un principe vite oublié quand il s’agit de la Palestine. En déterminant si l’occupation israélienne constitue une annexion, un nouvel avis de la CIJ pourra réaffirmer le droit international comme fondement à toute solution à la question israélo-palestinienne.

Le 11 novembre 2022, une résolution déposée par l’Etat de Palestine a été adoptée par la Quatrième Commission [1] de l’Assemblée générale des Nations Unies par 98 votes pour, 17 contre et 52 abstentions. Si celle-ci est confirmée par un vote positif en début décembre, une demande d’avis sera adressée à la CIJ sur deux questions précises :

  1. Quelles sont les conséquences juridiques découlant de la violation continue par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël de lois et de mesures discriminatoires connexes ?
  2. Comment les politiques et pratiques d’Israël visées à l’alinéa a) affectent-elles le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?

On ne peut que se féliciter de voir que la Belgique et six autres Etats européens (Luxembourg, Irlande, Portugal, Slovénie, Malte et Pologne) ont voté en faveur de cette résolution. Mais comment expliquer le vote des vingt autres Etats membres de l’Union européenne ? Et comment expliquer la différence avec leurs votes de la résolution condamnant l’annexion russe de territoires ukrainiens ? Le recours à la justice et au droit international seraient-ils légitimes dans certains cas et pas dans d’autres ? Cette incohérence est d’autant plus flagrante que le niveau de violence exercé par l’armée et les colons israéliens à l’encontre de la population palestinienne s’est considérablement accru ces derniers mois.

Violences quotidiennes et impunité d’Israël

Selon les chiffres des Nations Unies, 105 Palestiniens, dont 26 enfants, ont été tués par l’armée israélienne en 2022, ce qui en fait l’année la plus meurtrière en Cisjordanie et Jérusalem-Est depuis 2006. Et le mois d’octobre 2022 semble avoir été particulièrement meurtrier avec 29 victimes palestiniennes en un mois.

Le mois d’octobre 2022 a été marqué par une résurgence de la résistance armée palestinienne et, en réponse, de pratiques de punition collective de la part de l’armée israélienne. Les habitants du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat, situé à Jérusalem-Est, a ainsi été assiégé par l’armée israélienne en réponse à une attaque palestinienne sur le checkpoint situé à l’entrée du camp, s’étant soldé par la mort d’un soldat israélien. Pendant trois jours, les 14 000 habitants du camp ont ainsi été privés de contacts avec l’extérieur, au détriment de leur accès à certains biens et services de base comme l’accès à un hôpital. Pour rappel, l’article 33 de la IVe Convention de Genève de 1949 interdit à une puissance occupante d’appliquer une punition collective à la population occupée.

Le mois d’octobre correspond aussi à la saison de la récolte des olives en Palestine, une saison qui entraine chaque année une augmentation de la violence des colons israéliens. La population palestinienne est ainsi empêchée de cultiver par des attaques de colons, qui œuvrent souvent main dans la main avec l’armée israélienne.

La colonisation va par ailleurs bon train en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

La colonisation va par ailleurs bon train en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. L’organisation israélienne Peace Now, qui monitore la construction et la planification dans les colonies israéliennes a mis en lumière le fait qu’en un an de gouvernement Bennett-Lapid, le fameux gouvernement dit « du changement », la colonisation avait non seulement continué mais s’était même renforcée avec une augmentation de 26% dans la planification et de 62% dans la construction de nouvelles unités de logement dans les colonies israéliennes. Le gouvernement Bennett-Lapid a également fait avancer certains projets de colonies (E1, Atarot, Givat Hamatos) qui rendront impossible toute continuité territoriale palestinienne, et empêcheront par conséquent toute « solution à deux Etats », à laquelle la communauté internationale se dit pourtant tant attachée.

Le renforcement de la colonisation va par ailleurs de pair avec la démolition de structures palestiniennes, qui a également augmenté ces derniers mois, avec des tentatives de déplacement de communautés entières à Khirbet Humsa, Ras Al-Tin et plus récemment à Masafer Yatta. Le 4 mai dernier, la Cour Suprême israélienne a en effet approuvé le déplacement forcé de 1200 Palestiniens et Palestiniennes de la région de Masafer Yatta dans les collines au sud d’Hébron. L’annonce de cette expulsion massive a provoqué de nombreuses condamnations de la part de la communauté internationale, dont l’Union européenne et la Belgique. Malgré cela, l’armée israélienne procède depuis lors à des démolitions régulières de structures dans la région.

Depuis le début de l’année, Israël a détruit 650 structures en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dans lesquelles vivaient quelque 750 personnes. 13% de ces structures étaient financées par des bailleurs, en majorité européens. Comme le faisait remarquer un article du Monde début octobre, « L’Europe paie, Israël détruit ».

Ce même constat pourrait être dressé pour la population palestinienne de la bande de Gaza, que l’armée israélienne bombarde régulièrement de manière indiscriminée, et que l’aide humanitaire européenne permet de maintenir en vie. Cet été, l’attaque israélienne sur le territoire côtier a encore causé la mort de 49 personnes dont 17 enfants. Comme les Nations Unies le soulignaient déjà il y a quelques années, le blocus imposé par Israël depuis plus de 15 ans et les attaques israéliennes régulières ont rendu la bande de Gaza invivable.

La violation des droits de la population palestinienne ne fait que s’intensifier et la société civile, qui représente le dernier rempart contre ces violations, est elle aussi attaquée

La violation des droits de la population palestinienne ne fait que s’intensifier et la société civile, qui représente le dernier rempart contre ces violations, est elle aussi attaquée. En octobre 2021, Israël a ainsi désigné six des principales organisations palestiniennes de défense des droits humains comme « terroristes ». Le 12 juillet 2022, plus de huit mois après les faits, les neufs Etats membres de l’UE qui financent ces organisations palestiniennes ont enfin dénoncé la désignation israélienne comme infondée. Mais la réaction européenne est trop faible, trop lente et sans aucun effet sur Israël. Le 17 août, l’armée israélienne a en effet pénétré dans les bureaux des organisations, confisqué du matériel et en scelle les entrées. Le lendemain, les même neufs Etats européens déclaraient ces raids israéliens « inacceptables ». A nouveau, cela n’a pas empêché l’armée israélienne deux jours plus tard de menacer le personnel des organisations visées.

Ces développements ont tous eu lieu sous le gouvernement Bennett-Lapid, qui prétendait incarner le changement et augurer de nouveaux pas vers la paix au Proche-Orient. Le 1er novembre dernier, la population israélienne s’est rendue aux urnes pour la quatrième fois en cinq ans. Malgré de multiples affaires de corruption le concernant, Benjamin Netanyahou est en passe de réussir son pari de revenir au pouvoir et cela grâce à son alliance avec le parti d’extrême droite « Sionisme Religieux » de Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Bien que la tendance politique du gouvernement israélien ne change jamais fondamentalement la situation palestinienne, l’arrivée d’une telle coalition au pouvoir n’augure certainement rien de bon. La question est maintenant de savoir quand l’Union européenne et le reste de la communauté internationale réagira et jusqu’où l’impunité d’Israël pourra s’étendre.

L’Union européenne privilégie ses intérêts

En juillet, l’Union européenne annonçait la reprise des Conseils d’association avec Israël. Ces réunions annuelles avaient été suspendues en 2012 suite à des politiques israéliennes allant à l’encontre du processus de paix et du droit international. Aujourd’hui, alors que les violations israéliennes se multiplient, les responsables européens présentent la reprise de ces rencontres comme nécessaire pour aborder certaines questions sensibles et engager les responsables israéliens dans le processus de paix. Le message est peu crédible. L’annonce en juin dernier de la conclusion d’un accord gazier entre l’Union européenne, Israël et l’Egypte pourrait en effet mieux expliquer le besoin de rouvrir cet espace de concertation. En effet, si le document préparé par l’Union européenne comme base de discussion, fuité par le EU Observer, abordait bien des questions comme la politique de différenciation vis-à-vis des colonies israéliennes ou le soutien à la société civile palestinienne, ces dernières passaient après la mise en avant des multiples secteurs de collaboration qui existent entre l’UE et Israël.

Une autre raison évoquée pour la tenue du Conseil d’association était la nécessité de renouer le dialogue au plus haut niveau avec Israël. Or, le Premier ministre israélien Yair Lapid a montré le peu de cas qu’il faisait de cette rencontre en n’y participant que de manière virtuelle. L’opération dans son ensemble s’est finalement avérée très positive pour Israël, le pays apparaissant comme un partenaire privilégié de l’Union européenne. L’Union européenne quant à elle apparait comme ayant choisi de privilégier ses intérêts au détriment de ses valeurs et du respect du droit international.

Un même constat ressort de la réaction du Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’UE à l’annonce des résultats des élections israéliennes du 1er novembre. Alors que l’extrême droite connait une percée historique en Israël et que Benjamin Netanyahou s’y associe pour former le prochain gouvernement, Josep Borrell applaudit le « dynamisme de la démocratie israélienne » et se dit « impatient de poursuivre le travail de l’UE avec Israël, pour renforcer la coopération bilatérale, faire progresser la stabilité dans la région & promouvoir nos valeurs communes ». Au vu de la politique israélienne de colonisation, d’annexion et d’apartheid, on est en droit de se demander ce que le Haut Représentant entend par « valeurs communes ».

Remettre le droit international au centre

Fin octobre, la Commission d’enquête indépendante des Nations Unies publiait son deuxième rapport et concluait à l’illégalité de l’occupation israélienne du fait de sa prolongation dans le temps et de l’annexion de facto du territoire palestinien qui l’accompagne. Au lieu de suivre les recommandations de la Commission d’enquête ou pour le moins d’en discuter les conclusions, l’Union européenne a préféré réagir en délégitimant le mandat, selon elle trop large, de la Commission d’enquête.

Le constat d’annexion du territoire palestinien n’est pourtant pas nouveau. Lorsqu’en juin 2020, le gouvernement Netanyahou V annonçait une annexion officielle, dite de jure, de larges parties du territoire palestinien, de nombreux Etats européens ont réagi. En Belgique, le Parlement fédéral a alors adopté une résolution, dont l’essentiel a ensuite été repris dans l’accord de gouvernement. Le nouveau gouvernement belge s’est ainsi engagé à travailler « au niveau multilatéral et de l’UE ou, le cas échéant, avec un groupe significatif d’États partageant les mêmes vues, sur une liste de contre-mesures efficaces et proportionnées en cas d’annexion du territoire palestinien par Israël ». Jusqu’à présent le gouvernement belge semble considérer que seule une annexion de jure du territoire palestinien devrait entrainer la mise en œuvre de cet engagement. Mais les démolitions de structures palestiniennes et la construction incessante dans les colonies israéliennes représentent une annexion de facto du territoire palestinien qui oblige tout autant le gouvernement à agir. Et cette obligation ne découle pas uniquement de l’accord de gouvernement, mais bien des obligations internationales des Etats.

Le vote le 11 novembre dernier de la résolution au sein de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies arrive donc à point. Un nouvel avis de la CIJ contribuera à rappeler la primauté du droit international dans la résolution de la question israélo-palestinienne, et éclairera les Etats tiers sur leurs obligations. En votant en faveur de cette résolution, la Belgique a donc été cohérente avec l’engagement repris dans l’accord de gouvernement. Mais en attendant l’avis de la CIJ, la Belgique ne peut adopter une attitude attentiste. Afin d’approfondir le principe de différenciation comme il s’y est engagé, le gouvernement belge devrait déjà veiller à ne pas soutenir l’économie de la colonisation en interdisant le commerce avec les colonies israéliennes. En juin dernier, le Premier ministre a confirmé que le sujet était discuté au sein du gouvernement fédéral, ce qui a été applaudi par la campagne Made in Illegality. Il reste un an et demi pour mettre cette interdiction en œuvre. Par ailleurs, la Belgique devrait prendre exemple sur l’Irlande dont le Parlement a affirmé en 2021 que « les actions d’Israël constituent une annexion illégale de facto » du territoire palestinien. Sur base de ce constat partagé, Belgique et Irlande pourraient pousser les autres Etats membres européens qui partagent leurs vues à adopter des contre-mesures pour faire cesser l’annexion israélienne de la Palestine.

[1La quatrième Commission de l’AGNU traite des questions politiques spéciales et de décolonisation.