Accord de gouvernement : une place inédite pour le Moyen-Orient

Camp de réfugiés palestiniens de Rafah, dans la bande de Gaza, novembre 2019.. (Crédit : © Abed Rahim Khatib / shutterstock
Crédit : © Abed Rahim Khatib / shutterstock

La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord occupe une place de choix dans l’accord de gouvernement. C’est principalement le cas du processus de paix au Moyen-Orient, autrement dit la situation en Israël et en Palestine. Quelles nouveautés en découlent ? Quelle est la signification des éléments introduits dans l’accord ? En quoi cela rencontre-t-il les recommandations portées par le CNCD-11.11.11. Décryptage.

Le Moyen-Orient, haut dans l’agenda

« La Belgique continuera à porter une attention soutenue et équilibrée à la situation au Moyen Orient, tant en ce qui concerne la situation au Liban, en Iran, Irak et Syrie notamment, qu’au sujet du processus de paix au Moyen Orient ».

Le nouveau gouvernement fédéral place la région du Moyen-Orient haut dans ses priorités puisqu’elle est mentionnée directement après les relations transatlantiques, avant même l’Afrique centrale, historiquement prioritaire dans la politique étrangère de la Belgique. En comparaison, l’accord de gouvernement de 2014 ne mentionnait même pas cette région.

Le choix d’inscrire cette région comme prioritaire est compréhensible au vu des développements des dernières années : embrasement du conflit syrien, arrivée de réfugiés syriens et irakiens en Europe, crise économique et sociale au Liban, tensions croissantes entre les Etats-Unis et l’Iran. Depuis 2014, les forces armées belges ont également été engagées deux fois en Irak et en Syrie, en 2014 et en 2017, et viennent d’y être redéployées pour une période d’un an. Comme l’a récemment rappelé une coalition d’organisations belges et internationales, un des enjeux des prochains mois sera d’améliorer la transparence sur le déploiement des forces armées belges en Syrie et en Irak et cela en application de la résolution prise le 25 juin dernier par le Parlement fédéral.

Processus de paix : La confirmation d’un rôle belge de premier plan

Mais si le Moyen-Orient occupera une place de choix dans la politique étrangère belge, l’attention sera surtout portée sur la situation en Israël et en Palestine, comme en atteste le paragraphe entier qui y est consacré dans l’accord de gouvernement :

« Le Gouvernement fera de nouveaux pas dans le sens d’une politique de différenciation bilatérale et multilatérale à l’égard des colonies israéliennes. Il travaillera au niveau multilatéral et de l’UE ou, le cas échéant, avec un groupe significatif d’États partageant les mêmes vues, sur une liste de contre-mesures efficaces et proportionnées en cas d’annexion du territoire palestinien par Israël et sur une possible reconnaissance à temps de l’État palestinien ».

L’approfondissement de la différenciation et les contre-mesures efficaces contre l’annexion sont deux revendications portées par le CNCD-11.11.11 et ses membres qui s’inscrivent dans une volonté de garder le droit international comme base pour la résolution de la question israélo-palestinienne. A l’heure du « Deal du siècle » présenté en janvier 2020 par le Président Trump, l’importance du droit international a en effet plus que jamais besoin d’être réaffirmée. Et grâce à une attention constante portée par le Parlement fédéral à la question, la politique étrangère du gouvernement Michel - ainsi que celle du gouvernement Wilmès - s’étaient déjà résolument engagées dans cette voie, la Belgique jouant souvent un rôle moteur au niveau européen sur ces questions.

L’accord de gouvernement vient donc aujourd’hui confirmer ce positionnement de la Belgique pour les quatre années à venir. Passons en revue l’état des lieux ainsi que les défis qui se posent pour chacune des mesures envisagées.

L’approfondissement de la politique de « différenciation »

L’accord de gouvernement prévoit premièrement un approfondissement de la politique de différenciation, autrement dit l’exclusion des colonies israéliennes des relations bilatérales avec Israël.

Cette politique, initiée par l’UE en 2012, a été explicitement adoptée par la Belgique dans la suite de l’adoption de la résolution parlementaire sur « l’appui de la Belgique à une relance du processus de paix » du 24 novembre 2016. Dès 2014, la Belgique avait été un des premiers Etats membres à publier des lignes directrices sur l’étiquetage des produits des colonies ainsi que des messages aux entreprises leurs enjoignant de ne pas investir dans les colonies israéliennes. Le 23 décembre 2016, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptait par ailleurs la résolution 2334 qui elle aussi enjoignait tous les Etats « de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».

Tout au long de la précédente législature, la Belgique s’est positionnée au niveau européen en faveur de la différenciation et du respect du droit international dans le cadre du processus de paix. Mais si ses positions sont jusqu’ici théoriquement bonnes, il lui reste encore des efforts à faire pour appliquer concrètement cette politique au niveau national, comme le souligne le rapport « Differentiation tracker » du think tank paneuropéen ECFR, notamment en termes d’effectivité de l’étiquetage des produits des colonies ou d’exclusion explicite des colonies israéliennes du bénéfice de ses accords bilatéraux avec Israël.

Par ailleurs, le CNCD-11.11.11 a souligné depuis de nombreuses années que l’étiquetage des produits des colonies n’était pas suffisant pour rencontrer l’obligation de non-assistance que le droit international dicte aux Etats tiers face à la colonisation israélienne. En effet, comme le soulignait le rapport du Professeur François Dubuisson publié en 2014, le gouvernement belge devrait à ce titre purement et simplement interdire les produits des colonies de son marché, pour se mettre en conformité avec le droit international. Il devrait en outre pousser l’UE et ses Etats membres à faire de même.

L’accord de gouvernement prévoit d’ailleurs des efforts belges en matière de différenciation à la fois au niveau bilatéral et au niveau multilatéral. Au niveau du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, la Belgique devrait à ce titre activement appuyer la mise à jour régulière de la base de données des entreprises impliquées dans la colonisation israélienne.

Des « contre-mesures efficaces » en cas d’annexion

L’accord de gouvernement confirme les mesures prônées par la résolution parlementaire du 25 juin 2020. Celle-ci avait été discutée dans le contexte de l’annexion partielle de la Cisjordanie occupée, annoncée par le nouveau gouvernement israélien. La résolution appelait le gouvernement à « jouer un rôle de premier plan aux niveaux européen et multilatéral en vue de l’élaboration d’une liste de contre-mesures efficaces destinées à répondre de manière proportionnelle à toute annexion israélienne du territoire palestinien occupé ».

L’annexion était attendue à partir du 1er juillet. Mais face à l’opposition internationale et au manque de soutien de la part de l’administration Trump, trop occupée par un agenda interne, le gouvernement israélien semble avoir reporté l’annexion… jusqu’à en monnayer la suspension en échange d’un accord de normalisation avec les Emirats Arabes Unis et Bahreïn, accord signé ce 15 septembre 2020.

Si l’annexion formelle ou de jure semble être temporairement suspendue, l’annexion de facto au travers de la politique de colonisation se poursuit quant à elle sans relâche. Les annonces de nouvelles constructions dans les colonies israéliennes se succèdent en effet à un rythme élevé, tout comme les destructions d’infrastructures palestiniennes dans la zone C ou à Jérusalem-Est. Le fait que l’annexion de jure soit suspendue ne doit donc pas aveugler le nouveau gouvernement belge, qui a également une obligation de réagir face l’annexion de facto du territoire palestinien. Quelle que soit la forme que prend l’annexion, plusieurs contre-mesures efficaces et proportionnelles peuvent être prises dont la suspension de l’Accord d’Association UE-Israël, l’interdiction d’importer et de commercialiser des produits des colonies et d’investir financièrement dans l’économie des colonies, ou encore l’exclusion des acteurs liés à l’occupation et la colonisation israélienne des programmes européens tels qu’Horizon Europe.

La Belgique et l’UE se basent par ailleurs encore sur la perspective d’une solution à deux Etats, mais l’annexion en cours rend cette solution tous les jours plus obsolète. Il est temps que la Belgique et l’UE le reconnaissent et envisagent de qualifier la situation d’apartheid appliqué à tous les Palestiniens et les Palestiniennes, qu’ils vivent dans le territoire occupé ou en Israël-même.

Reconnaissance de l’Etat palestinien

La troisième mesure envisagée par le nouveau gouvernement est la « possible reconnaissance à temps de l’Etat palestinien ». On note donc bien l’ajout des mots « possible » et « à temps » qui viennent enlever toute ambition à une mesure envisagée de longue date. On parle ici d’une arlésienne. En effet, une résolution adoptée par la Chambre des représentants en 2015 prônait déjà la reconnaissance de l’Etat de Palestine « en temps opportun ». Mais jusqu’ici, ni les multiples attaques portées par l’administration Trump à l’Autorité palestinienne, ni l’agenda ouvertement annexionniste des derniers gouvernements israéliens n’ont encore constitué des « moments opportuns » pour reconnaître l’Etat palestinien.

L’argument souvent avancé est que si elle était la seule à reconnaître la Palestine, la Belgique n’aurait aucun impact et ne réussirait qu’à se mettre hors-jeu, comme l’a montré l’exemple de la Suède qui a reconnu bilatéralement la Palestine en 2014.

Néanmoins, la perspective de l’annexion pourrait amener plusieurs Etats européens à envisager une telle reconnaissance, le Luxembourg en tête. La Belgique peut donc jouer un rôle moteur pour lancer une reconnaissance groupée de la Palestine. Une résolution a été récemment été déposée à la Chambre pour pousser la Belgique à agir dans ce sens.

Une approche régionale de la coopération

Enfin, l’accord de gouvernement annonce également vouloir décliner la coopération belge en approches régionales, une d’entre elles étant consacrée au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord.

« Notre coopération bilatérale au développement évoluera vers une approche régionale. Une politique claire, avec des stratégies régionales détaillées pour l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Ouest (Sahel), l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Une stratégie globale visant à relever les défis sociaux, économiques et sécuritaires dans ces régions sera élaborée ».

L’initiative est à saluer. La région jouit en effet de relations privilégiées avec l’Union européenne depuis longtemps, et surtout depuis le lancement du Partenariat euro-méditerranéen en 1995. Néanmoins, malgré des intérêts communs évidents entre l’UE et son voisinage sud, la Politique européenne de voisinage (PEV) telle qu’elle a été révisée en 2015 consiste davantage à restreindre les migrations et à lutter contre le terrorisme qu’à viser une prospérité commune. Et un passage de l’accord de gouvernement tend à faire penser que la Belgique ne se départit pas de cette approche : « L’engagement de notre pays dans la région du Sahel, comme dans la Méditerranée, peut également contribuer à réduire les flux migratoires vers l’Europe ».

À l’heure des vingt-cinq ans du Partenariat euro-méditerranéen, il est donc temps que l’UE développe avec son voisinage sud un partenariat qui vise à la réalisation des Objectifs de développement durable des deux côtés de la Méditerranée.